Derniées informations
prev next

France- La crise du voile entre la France et les Nations Unies

Par yacine.benrabia-- 24-Oct-2018 1288

Deux conceptions opposées des Droits de l’Homme et de la liberté religieuse s’affrontent à l’ONU. Pourquoi et comment ?

Le 23 octobre, sur la plainte de deux femmes musulmanes, verbalisées pour avoir porté le niqab (voile islamique intégral) dans un lieu public et qui accusaient la France de discrimination au regard de la liberté de religion, le comité des droits de l homme de l’ONU a tranché en faveur de ces dernières et considéré que la France avait violé leurs droits. Si cette décision n’a pas de valeur contraignante, elle soulève une nouvelle fois la question du lien entre les Droits de l’Homme et la liberté religieuse. Et va bien au-delà.

Une cause idéologique bien plus que juridique

La plupart des commentaires se sont concentrés une nouvelle fois sur la défense de la laïcité “à la française” ou sur l’action lobbyste des groupes musulmans fondamentalistes, qui se sont donnés pour objectif d’infléchir les lois nationales en faveur de leur concept invasif de la religion musulmane, au détriment des principes démocratiques occidentaux. Rappelons que la loi française de 2010 interdisant le port du niqab dans l’espace public (“Nul ne peut porter, dans l’espace public, des vêtements destinés à dissimuler le visage”) a été jugée licite en 2008 par la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH), qui siège à Strasbourg, au sujet d’une affaire qui concernait l’interdiction du port du turban sikh sur des photographies d’identité (en l’occurrence un permis de conduire).

De même, en 2009, la CEDH a confirmé la conventionnalité de la loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, les collèges et les lycées publics. Il n’y a donc pas à proprement parler de problème juridique, puisque le cas est clairement tranché à l’échelon supranational ; il s’agit bel et bien, en revanche, d’une cause idéologique. C’est donc intentionnellement vers le Comité que se tournent les plaignants, avec l’espoir de contourner la définition des Droits de l’Homme qu’adoptent les pays occidentaux dans leurs différentes instances nationales ou continentales.

Le Comité des Droits de l’Homme de l’ONU, officiellement chargé de la mise en oeuvre du “Pacte relatif aux droits civils et politiques” des Etats membres, n’en est pas à sa première tentative en la matière, loin de là. Composé, selon ses statuts, d’experts dits indépendants, il est néanmoins l’émanation des États qui rivalisent entre eux pour y occuper un siège. Parmi eux, on compte environ 30 % de pays musulmans, qui sont membres de l’OCI (Organisation de la Coopération Islamique), ce qui mérite réflexion. Quant aux délégués du Comité des Droits de l’Homme de l’ONU qui sont issus de pays asiatiques, ils se montrent également très attachés au port de tenues vestimentaires spécifiques, qui constituent souvent les attributs inhérents à une religion particulière (c’est vrai pour les Sikhs, mais aussi pour certains bouddhistes).

Imagine-t-on seulement une Organisation de la Conférence de la Coopération Chrétienne, ou une Organisation de la Coopération Laïque et Séculariste ? L’OCI, par exemple, considère que l’apostasie, conformément aux prescriptions du Coran, doit être proscrite ! La même OCI a parrainé la Déclaration des Droits de l’Homme en islam, signée au Caire le 5 août 1990, qui spécifie que “l’islam est la religion naturelle de l’homme”. Soit deux formes d’atteinte qualifiée au principe de la liberté de pensée, si l’on se réfère à tous les canons des démocraties.

“Le mode de vie occidental n’est pas négociable”

Il y a donc deux perceptions diamétralement opposées des droits humains ; et le Comité des Droits de l’Homme de l’ONU est le théâtre de leur confrontation. L’une, fondée sur les droits de l’individu, privilégie la personne humaine et son libre-arbitre ; elle suppose l’égalité des sexes et le respect total du fait religieux dans le for intérieur de chacun, dans la liberté de la vie cultuelle, mais en aucun cas comme la norme de la société commune. C’est indéniablement le fruit de l’enseignement sécularisé des Évangiles, au sens où Hegel définissait le christianisme : “la religion de la sortie de la religion”. Avec cette complexité qui veut que l’Europe, tout spécialement la France, soit en dénégation et ne reconnaisse plus cette part de son identité dont découlent pourtant ses lois civiles.

Pourquoi décréter Noël, Pâques et la Pentecôte comme jours fériés si ce n’est au nom d’un héritage indéniable ? Beaucoup de musulmans estiment aujourd’hui que leurs propres fêtes religieuses devraient aussi donner lieu à des jours chômés. On ne pourra pas toujours leur opposer l’argument juridique. Quand osera-t-on enfin dire que les droits de chacun sont une base irréfutable, mais que la culture d’une nation en est une autre, tout aussi digne de respect et qui a pris – grâce à la laïcité – la forme d’un consensus pacificateur ? On ne doit pas accepter d’ébranler ce socle. Comme l’a écrit le philosophe Pascal Bruckner, “le mode de vie occidental n’est pas négociable”.

L’autre conception, qui envisage la religion comme un fait collectif indissoluble et structurant des sociétés (ainsi est-il en terre d’islam), entend veiller à ce que les croyants minoritaires dans les pays occidentaux voient leurs usages considérés comme des prérogatives qui doivent imposer une égalité stricte entre les cultures. A ce titre, ce qui prévaut en Arabie Saoudite devrait aussi prévaloir en France au nom de la parité des cultures ; moyennant quoi, l’égalité entre les sexes ne devient plus alors qu’une option. Le niqab n’est même pas une prescription coranique, mais une coutume issue d’une interprétation, à laquelle peuvent répliquer d’autres interprétations ; ce n’est pas de liberté religieuse qu’il s’agit, mais d’un certain type d’islam qui veut dominer toute autre lecture. C’est cette vision que les fondamentalistes veulent forcer à entrer dans la place démocratique. Avec ce présupposé évident et très préoccupant : l’hégémonie normative de l’Occident aurait vécu, et l’Europe, en particulier, ne serait plus le modèle à même de définir la norme en matière de religion. C’est le choc principal du XXIe siècle : la définition même de ce qui fait la substance de l’être humain.

les commentaire

Laisser une réponse à pc app
Annuler la réponse