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Tizi Ouzou : Ath Yenni met en valeur les bijoux traditionnels, ‘’Le bijou d’argent, symbole et fierté des kabyles’’

Par C.B.-- 11-Août-2023 0

La traditionnelle fête du bijou d’Ath Yenni, 35 km au Sud de Tizi-Ouzou et 135 km à l’Est d’Alger, s’est ouverte ce jeudi 10 Août 2023. Prévue du 27 juillet au 5 août, elle a été reportée à cause des feux de forêt dans la région mitoyenne de Bejaia. La cérémonie d’ouverture de la 17e édition de la Fête du bijou d’Ath Yenni a lieu comme à l’accoutumée au niveau du CEM ‘’ Chahid Larbi Mezani’’.

Dès les premières heures de la matinée, malgré la température caniculaire, connait une affluence record, au grand bonheur des habitants de la localité, des artisans exposants et des propriétaires des petits commerces. Le nombre de véhicules et de bus arrivant sur l’artère principale de la commune témoigne d’une présence de visiteurs pas facile à contenir en raison de l’étroitesse de la voie.

S’agissant du profil des visiteurs, celui-ci est assez diversifié: des hommes et des femmes, jeunes et moins jeunes. Des gens de la région mais aussi de toute la Kabylie et des villes limitrophes font ainsi le déplacement pour admirer ce savoir-faire millénaire, qui se transmet de génération en génération.

Connu pour sa maîtrise du bijou et de l’argent, le village d’Ath Yenni (wilaya de Tizi Ouzou) organise sa 17eme édition de la fête du bijou cet été. Cette fête est l’une des grandes manifestations nationales. Lancée en 1994 en tant que fête locale, elle a réussi à rassembler artisans et joailliers de tout le pays, après avoir été institutionnalisée en 2004 en tant que manifestation nationale, puis est devenu un rassemblement national d’échanges d’expériences et une réelle opportunité pour échanger le savoir-faire et commercialiser les produits.

Il s’agit d’une manifestation qui met à l’honneur la spécificité première de cette région de haute Kabylie, le raffiné et authentique bijou d’argent qui fait depuis si longtemps la notoriété et l’attrait de celle-ci. Aussi, ce rendez-vous est-il une précieuse opportunité pour faire connaitre ce patrimoine ancestral et unique en son genre, indissociable de l’identité de la femme kabyle mais néanmoins, confronté à de multiples menaces de disparition.

Le rendez-vous de cette année accueille entre 130 à 140 participants entre bijoutiers et autres artisans de produits traditionnels  tels que la broderie, la tapisserie, la poterie et la vannerie seront également présents, au nombre d’environ 35 inscrits. Ils sont venus des quatre coins d’Algérie : « en plus des artisans de Tizi-Ouzou, des participants de 15 autres wilayas, dont Tamanrasset, Ouargla, Boumerdes, Alger, Adrar, Timimoune, Annaba, Mostaganem, Sidi Bel Abbes,… », disent les organisateurs.

Le fête qui s’étale jusqu’au 16 août prochain, est placée sous le thème ‘’ Bijou d’Ath Yenni, vecteur de développement local ‘’.  « Le choix du thème est dicté par la nécessaire réappropriation de ce métier et de son histoire à travers des ateliers de réflexion sur l’origine du bijou, mais, aussi des mécanismes à mettre en œuvre pour sa sauvegarde », a mis en évidence le comité d’organisation de cette fête.

Pour ce qui est du programme concocté pour cette fête, une exposition-vente de produits de l’artisanat, dont les fameux bijoux d’Ath Yenni, faits à base d’argent et décorés de coraux et d’émaux, est prévue, outre des conférences en rapports avec la thématique de cette édition (Bijou et développement local), et qui seront animées par deux économistes, Mohamed Dahmani et Arezki Chenane, a-t-on fait savoir. C’est en tout cas une réelle opportunité pour promouvoir le patrimoine culturel et l’artisanat algérien en général. Ce dernier se distingue à travers la créativité des artisans lors des expositions et salons organisés annuellement.

‘’Le bijou d’argent, symbole et fierté des kabyles’’

Le bijou d’argent (acigha na-l-fett), plus anciennement connu sous le nom amazigh de ‘’azraf’’ (ⴰⵣⵔⴰⴼ) est une des richesses de Ath Yeni (Beni Yeni) et le reflet du massif de Kabylie. Ses reliefs sont formés d’une succession de collines au pied de la chaîne du Djurdjura, visible de tous les villages environnants. Ses villages sont reconnus pour leurs bijoux d’argent massif, d’une finesse non comparable.
Certes, le métier de bijoutier-argentier (asekkak) dépasse Ath Yenni, vers les Ath-Smaïl, Ath Larbaa, Taourirt Mimoun, Ait Lahcen, Agouni-Ahmed, Thaourirt-El-Hadjadj, Tigzirt, Thansaout et autres. On trouve aussi des ‘’argentiers’’ dans la région des chaouias et dans le sud, parvenant jusqu’aux pays africains passant par les Touareg, ainsi que certaines villes du Maroc et de Tunisie et même dans le Sud de l’Europe. Mais le style des Ath Yenni et des villages environnants est singulier, la forme du bijou est classique et d’un beau caractère, enrichis d’émaux cloisonnés et de cabochons de corail qui sertit les pièces et  caractérisés par les couleurs utilisées avec éclat, la précision et la symbolique sociale.

Les bijoutiers travaillent seuls, ou par petits groupes généralement de la même famille, transmettant le métier, par un apprentissage traditionnel, de pères en fils. On y trouve aussi des femmes.

Histoire du bijou d’argent de Ath Yeni

On ne sait pas exactement quand ce savoir-faire est parvenu aux Ath-Yenni. Plusieurs théories se battent sur la date de naissance et la paternité de cet art. Mais les techniques de fonte et de moulage de l’argent, courantes dans toute l’Afrique du Nord, remontent à l’antiquité. Leurs gestes n’ont pas tellement évolué. La fabrication reste le plus souvent traditionnelle, les articles sont confectionnés au moyen d’une minuscule enclume alors que la technique de l’émaillage est réalisé en prenant soin de délimiter les parties à teindre, en y soudant des fils en argent.

Une des versions qui racontent l’origine de ce bijou se réfère à la famille Allam, de la tribu des Ath Abbas, en référence à la Kalâa des Ait Abbés à Bejaia, qui, une fois installée à Ath Yenni, des décennies auparavant, aurait transmis cet art aux habitants locaux.

Chassé de Bejaïa par les Espagnols, le futur roi de Koukou, Ahmed Belkadi, était allé chercher refuge sur le flanc Nord du Djurdjura, emmenant avec lui ses fidèles, parmi eux, la famille Allam qui préféra s’installer à Ath Yenni, et partant, donner naissance à une grande aventure, le travail de l’argent et de la bijouterie.

A son arrivée, cette famille fut recueillie par les Mammeri et trouva une société prédisposée au travail manuel et artistique, qui demandait surtout de la doigtée et de la patience, et qui travaillait toutes sortes de métaux. Le travail se faisait en famille, au retour des champs, notamment, et chacun, hommes, femmes, petits comme adultes, y mettait du sien.

Les alliances contractées avec des familles d’Ait-Larbâa, l’un des sept villages composant cette commune, expliqueraient la concentration de ce dernier en plus grand nombre d’orfèvres.

De quoi est fabriqué le bijou Kabyle de Ath Yeni ?

Fruit de l’alliage de trois matériaux : l’argent, le corail et l’émail, le bijou d’argent, localement appelé L’fetta, requiert une précision, une dextérité et une habileté extrêmes de la part de l’orfèvre. Autant de critères indispensables qui donnent naissance à des produits finement ciselés, filigranés, rehaussés de jolies pierres de corail serti. Un corail provenant du bassin méditerranéen alors que l’argent est extrait en Algérie, traité en France avant d’être réimporté. L’émail est, quant à lui, importé de la ville française de Limoges.

Les différents types de bijoux kabyles de Ath Yeni

Les bijoux kabyles d’Ath Yenni sont présentés sous différentes formes, selon les usages qu’en font leurs propriétaires : l’on retrouve ainsi les bracelets “Ddah ou Ameshlukh”, les chevillières “Ikhelkhalen”, les fibules “Avruch” qui se fixent sur l’étoffe par un ardillon à l’intérieur duquel coulisse un anneau. Il en existe de nombreux types, tels que les “Idwiren” (ronds) et les “Taharaht” qui sont de petites tailles. Les “Tibzimin” sont, quant à elles, des fibules de grandes tailles alors que les “Ibzimen” sont de forme triangulaire. Les “Abzim” sont présentés comme étant la pièce maîtresse de la parure kabyle, car se portant sur la poitrine de la femme. Il s’agit d’une grande fibule de forme ronde et richement décorée par de nombreux filigranes, des boules d’argent et une multitude de coraux.

La panoplie de bijoux comporte également “Taessavt”, un diadème tout aussi joliment ornementé d’émaux, de gros cabochons de corail ainsi que de boules d’argent.

A ces bijoux, s’ajoutent les incontournables “Thimengouchine” ou “Thaloukine”, à savoir les boucles d’oreille pièces maitresse de toutes les parures d’argent. Parmi ces boucles d’oreille, on peut retrouver “Letrak”, une sorte d’anneau oval orné à l’extrémité par des sertissages de corail et d’émaux. “Thigwedmatin” est un autre type de boucles d’oreille, composé d’anneaux ornés de corail aux extrémités, celles-ci étant agrémentées de plaques rondes émaillées et pourvues de pendeloques allongées.

Le bijou kabyle et sa fonction sociale

Quelle que soit la provenance originelle et la forme de ce précieux patrimoine, un fait indéniable : il joue un rôle très important dans la population et la vie sociale kabyle et revêt également une dimension hautement symbolique. Il tient une place essentielle dans le quotidien de celle-ci.

Par le passé, après la fabrication du bijou, les sculptures étaient réalisées par un armurier, qui sculptait par ailleurs les crosses des fusils.

Jadis, les femmes kabyles ne se séparaient jamais de leurs bijoux, y compris lorsqu’elles s’affairaient à leurs besognes ménagères. Le plus souvent, les bijoux s’héritent de mères en filles et sont jalousement préservés : de par leur valeur, autant symbolique que marchande, ils ne sont vendus à autrui qu’en cas d’extrême nécessité.

Ces bijoux sont si liés à l’identité de la femme kabyle que toute mariée se doit de les posséder et les prévoir, en priorité, dans son trousseau. Ce dernier est impérativement composé de bracelets, de chevillères, de boucles d’oreille, de colliers et du diadème. Dans l’usage social de la région, il serait “mal vu” qu’une famille ne dote pas ses filles de ces ornements incontournables.

Pour les kabyles, le bijou est une expression de joie. On le porte pour plusieurs événements. Il n’y a pas d’âge pour commencer à le porter. Les filles reçoivent leurs premières boucles d’oreilles dès la naissance, au septième jour. Même si certaines mamans préfèrent attendre la floraison ; et la mariée se pare de bijoux éclatants de toutes les couleurs.

En plus, pour les kabyles, les bijoux en argents protègent du mauvais œil. On le retrouve accroché aux langes de bébés. Dans le henné de la mariée, on met une bague ou une pièce d’argent ; pour la circoncision du garçon aussi, car dans l’imaginaire social, la pureté est associée à l’argent.

C’est aussi un signe de bénédiction, certains garçons portent une boucle d’oreille (ayyacha, faire vivre), pour les protéger. Cela signifie que sa mère a perdu des enfants avant lui et espère garder ce bébé.

Quant à la variété des couleurs, elle porte, elle aussi, beaucoup de symbolique. Ainsi, “le rouge du corail, symbolise le feu et le sang, le jaune, le soleil et les épis d’herbes mûries, le vert, la verdure de la nature qui se rapporte aussi au paradis, le bleu, le ciel et la mer, et le blanc de l’argent, l’eau et la quiétude”, explique le bijoutier.

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